Les vases de l’Herbaudière

Article du Bulletin N° 26

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ENQUÊTE PUBLIQUE POUR UNE NOUVELLE MARÉE NOIRE LÉGALE.
(100 000 m 3 de vases contenant des produits toxiques)

APRÈS LE MAZOUT DE L’ERIKA, APRÈS LE STYRÈNE DU IEVOLY SUN, LES VASES DE L’HERBAUDIÈRE.
Tous les six, sept ans, l’accumulation des sédiments dans le port de l’Herbaudière provoque une remontée des fonds donc une diminution de la hauteur d’eau dans le chenal et dans les bassins ; les bateaux de pêche commencent à avoir des difficultés à regagner les postes à quai s’ils se présentent à des heures très éloignées de la marée haute. Il faut donc draguer le port.
L’avant dernier dragage a eu lieu en 1985, le dernier en 93-94. Tous les deux ont provoqué des conflits entre les usagers du port soutenus, pour des raisons de clientélisme, par les politiques, et les habitants qui demandent que l’opération se fasse dans le respect de l’environnement.

La nécessité d’un prochain dragage commence à apparaître et avec elle le choix de la méthode à employer.

HIVER 1993-1994

La vase s’était accumulée dans le port de l’Herbaudière. Les analyses avaient permis de constater qu’elle était lourdement chargée en cuivre et en composés d’étain, tous deux toxiques. Lors de l’enquête publique succincte qui avait précédé l’opération, deux associations de défense de l’environnement, “Vivre l’île 12 sur 12” et “Protection du site de Luzan” s’étaient insurgées contre le choix du site de rejet : au Luzan , endroit rocheux situé à 400 m de la plage et régulièrement fréquenté par les pêcheurs à pieds. Les associations demandaient une évacuation beaucoup plus au large afin de favoriser la dilution des substances toxiques. La Chambre de commerce et d’industrie (CCI) de la Vendée, maître d’oeuvre et qui se sentait peu concernée par l’environnement, souhaitait la solution qui avait l’avantage décisif d’être la moins coûteuse. En dépit des réticences des associations, du représentant des Affaires maritimes et de IFREMER, le Préfet, suivant l’avis de la Direction Départementale de l’Équipement, donnait son accord le 9 septembre.
Nous déposions alors un recours devant le Tribunal administratif. Celui ci ordonnait le 23 décembre un sursis à exécution. La CCI traînant les pieds ne faisait arrêter les travaux que le 14 janvier.

Autour du port, le ton montait entre les marins pêcheurs (en pleine crise de la pêche) et les associations, les premiers reprochant aux seconds de “chipoter ” et de les empêcher de travailler. Les esprits s’échauffaient, les insultes commençaient à fuser, des maisons étaient “bombées”. Des élus, démagogues irresponsables, prenaient partie.

Le Préfet, anticipant sur les résultats de l’audience retirait son arrêté le 7 février. Estimant qu’il y avait risque de trouble de l’ordre public et contournant la décision du tribunal administratif, il rédigeait le 11 février un nouvel arrêté d’ ”occupation temporaire du domaine public maritime”. Cet artifice allait permettre aux travaux de reprendre le 14 février.
Nous contre-attaquions le 4 mars ; le Tribunal administratif ordonnait un nouveau sursis à exécution le 23 mars et critiquait au passage le Préfet pour “ non exécution de la Loi sur l’eau ”, le 26 les travaux étaient à nouveau interrompus, mais le dragage était pratiquement achevé.
Le 28 mars, le Tribunal annulait le second arrêté du Préfet : ” le site de Luzan est un site littoral fréquenté et d’une qualité faunistique et écologique caractérisée par un classement en ZNIEFF de type 2 , les prétendus impératifs de sécurité et d’économies financières allégués par le Préfet constituent de simples considérations d’opportunité et non un motif de nature à donner un fondement légal à la décision attaquée et à justifier du caractère d’intérêt général de cette mesure….et l’arrêté attaqué est entaché de détournement de pouvoir.”

La CCI furieuse, de concert avec le Ministère de l’Environnement, portait l’affaire en Conseil d’État pour faire annuler les décisions du Tribunal administratif, espérant ainsi que la décision du Conseil d’État ferait jurisprudence. Elle réclamait de plus aux associations une “amende “ de 708 000 F pour compenser les retards apportés aux travaux.

Le 11 mai 1998, le Conseil d’État donnait définitivement raison aux associations. Nous avions juridiquement gagné mais, pour ce qui était de l’environnement, la bataille était perdue : 80 000 m3 de vases contenant des produits toxiques avaient été déversées sur un site sensible avec la complicité des responsables et des élus.

AN 2000, LA LUTTE REPREND.

Les hommes sont décidément incorrigibles : il y a eu le mazout de l’Érika, le styrène du Ievoly Sun, rien n’y fait : l’argent est toujours aussi puissant et les politiciens n’ont pas évolué. Seul enseignement qu’ils ont tiré de la précédente opération : “Vivre l’île 12 sur 12” et l’association “Protection du site de Luzan” ont gagné la bataille juridique, donc, il faut essayer de les calmer en les associant à un comité de pilotage “bidon”.

Nous avons l’ambition de vous donner dans ce dossier, les informations qui vous permettront d’aller témoigner, devant un commissaire enquêteur, que vous refusez un nouveau crime écologique.

I. LE PORT DE L’HERBAUDIÈRE : Le port de l’Herbaudière se caractérise par un bassin semi-fermé à flot et divisé en deux parties : à l’Ouest le port de pêche, qui compte environ 80 navires, une criée, des quais de débarquement, une cale et un terre plein, et, à l’Est, le port de plaisance privé, qui compte 13 pontons pour 492 places ( bateaux de moins de 15 m), un poste d’avitaillement et un port à sec comme aire technique de carénage et de réparation.
La concession du port a été accordée à la Chambre de Commerce et d’Industrie de la Vendée et à son sous-traitant la SA du port de plaisance de l’Herbaudière.

Financièrement ces deux organismes ne manquent pas de ressources : 11,36 millions de francs pour la CCI et un capital de 7,190 millions de francs pour la SA (380 actionnaires sont propriétaires de 5 752 actions). Il est à noter qu’il existe une incertitude quand au devenir de cette SA : son activité est étroitement liée à la durée de la concession portuaire soit 21 ans à compter du 1 janvier 2001. Au terme de cette concession, les actions n’auront plus aucune valeur.

II. LE COMITÉ DE PILOTAGE : Nous étions conscients l’an dernier que, compte tenu de la périodicité de l’opération, une nouveau dragage était imminent. Afin d’éviter le regrettable et tout à fait négatif affrontement occasionné par le précédent dragage nous avions essayé de devancer l’évènement. Nous avions rappelé au Président de la CCI nos positions en matière de protection de notre environnement ainsi que les différents jugements qui avaient conforté nos arguments. Parallèlement le Préfet et le Sous-Préfet étaient alertés.

Cette pression a entraîné une concession calculée de la CCI : un comité de pilotage allait être créé. Les associations de défense de l’environnement (Association de Défense de l’Environnement en Vendée, Vivre l’île 12 sur 12 et Défense du site de Luzan) en feraient partie. Toutes les parties concernées seraient invitées. Comme beaucoup des participants sont contrôlables et que les défenseurs de l’environnement sont en minorité, il allait être ainsi possible, sous couvert d’ouverture et de concertation, de continuer à maîtriser l’opération.

Parallèlement la CCI commandait au bureau d’études “IN VIVO” une étude d’incidence.

III. LA VASE : Tous les ports sont soumis à des phénomènes d’ensablement ou d’envasement et des opérations de dragage sont nécessaires pour dégager toute obstruction et assurer la navigation. Ces activités génèrent de très grandes quantités de déblais qui doivent trouver une destination.

Dans les bassins fermés, comme celui de l’ Herbaudière, les sédiments sont chargés en contaminants et en polluants (matières organiques, toxiques, hydrocarbures, métaux lourds…) provenant des activités urbaines, industrielles et portuaires. De plus, à l’Herbaudière, le réseau de collecte du pluvial se déverse directement dans le port, sans traitement particulier (pas de débourbeur ni de déshuileur).

L’immersion de ce type de sédiments se traduit par une contamination et une pollution du milieu récepteur.
Il a été calculé, dans un premier temps, que le dragage du port de l’Herbaudière devait concerner 97000 m3 de vase (60 000 dans le port de plaisance, 37 000 dans le port de pêche) mais, en dehors du comité de pilotage, sans aucune explication, la quantité a été ramenée à 80 000 m3. Miraculeusement il n’y avait plus à retirer que 40 000 m3 du port de plaisance, par contre il y en avait cette fois ci 40 000 dans le port de pêche !

Des prélèvements de vase ont été effectués dans 15 endroits caractéristiques du port et le bureau d’études a conclu que la vase était riche en matière organique, que la présence de cuivre était particulièrement importante dans cinq prélèvements, que le cas des TBT était encore plus préoccupant puisque les valeurs obtenues par IFREMER sont élevées voire très élevées et que les tests d’écotoxicité montraient qu’en certains points on se trouvait en face de sédiments à toxicité forte.
L’étude d’impact ( financée par la Chambre de commerce et d’industrie) conclut ainsi :” A partir de l’évaluation des concentrations moyennes et du test écotoxicologique le danger potentiel peut être considéré comme important, mais, néanmoins”, si la technique de dévasage et le lieu de destination “sont définis d’une manière adéquate, le risque peut être négligeable ou acceptable”.

IV. LA POUBELLE : Nous appellerons “poubelle”, le lieu de destination de ces vases bien encombrantes. Parmi toutes les filières possibles deux sont à considérer :
– l’immersion ou clapage dans un site approprié. C’est la pratique la plus courante. Il existe deux stratégies pour l’immersion : l’une dispersive sur un site soumis à de forts courants, l’autre de dépôt avec confinement des déblais dans une fosse ou un puits faiblement remanié par les courants et tempêtes.
– le rejet à la côte qui doit aussi théoriquement être une méthode dispersive : malheureusement, lors des derniers dragages, en dépit de toutes les assurances, nous avons constaté que la mise en oeuvre se faisait sur l’estran, même lorsque celui ci n’était pas immergé et par n’importe quelle force et direction de courant. Nous avons vu et photographié, lors des deux précédents dévasages, la vase, propulsée par les pompes, s’accumulant sur l’estran découvert. Où étaient les forts courants dispersifs évoqués?

IV.I. les sites étudiés :
Lors des réunions du fameux comité de pilotage trois sites ont d’abord été retenus pour étude :
– un site d’immersion au N-N-O de l’île du Pilier, dans le document d’impact il est nommé site A
– un site de rejet au N-O du Martroger, abandonné très rapidement, (site B)
– un site de rejet au S-O de la pointe de l’Herbaudière, sur l’estran, quasiment le site utilisé pour les deux précédents dragages, (site D)
– et surprise, lors de la dernière réunion, un quatrième site apparaît, le site C. Ce site a, d’entrée de jeu, l’approbation de la CCI,de la Société du port de plaisance et du Comité local des pêches. Il s’agit d’un site de rejet sur l’estran, au Nord de la pointe de l’Herbaudière. La manoeuvre n’a même pas été dissimulée, il y a eu concertation préalable sans les associations et le choix a uniquement été déterminé par le coût de l’opération.
Pour le moment les deux sites A et C restent en compétition.

IV.2. caractéristiques du site A , site d’immersion :
– il est situé à l’entrée de la Baie de Bourgneuf,
– la résultante des courants y est faible et porte vers l’Ouest,
– la zone se trouve dans le panache de l’influence de La Loire, la turbidité y est déjà très importante,
– le fond est constitué de sables très pauvres en matière organique avec un milieu biologique également pauvre,
– la zone n’est pas travaillée par la pêche côtière et se trouve en dehors de la zone de chalutage,
Ce site présente une vulnérabilité environnementale beaucoup plus faible que les autres sites car le sédiment dragué déversé n’est pas remis en suspension, il reste sur place.

I.V.3 : caractéristiques du site de rejet à la côte ou site C :
– il est situé à l’entrée de la Baie de Bourgneuf,
– la Direction des Affaires Sanitaires et Sociales y annonce des eaux de baignade de bonne qualité,
– il est à proximité d’un camping municipal,
– immédiatement à l’Est du site on trouve des gisements naturels de moules et de palourdes,
– les courants sont de type alternatif NE-SO,
– la couverture d’algues dense abrite de nombreuses espèces,
– c’est un lieu de pêche à pied non-professionnelle fréquenté, on y trouve des moules, des bigorneaux et de petits crustacés.
– c’est une Zone Naturelle d’Intérêt Écologique, Faunistique et Floristique (ZNIEFF) de type II. C’est aussi un site Natura 2000.

V. LES TECHNIQUES DE DRAGAGE :
V.I. le clapage en mer : lorsque les déblais sont clapés en mer, comme ce serait le cas pour le site A, c’est le dragage mécanique qui est préconisé. Le dragage mécanique est fait à l’aide d’engins à godets qui opèrent, soit depuis la berge (pelle mécanique), soit depuis la surface de l’eau (pelle sur ponton ou drague à godets). Cette technique nécessiterait, dans le port de plaisance, le démontage des pontons et le stockage des bateaux. La durée des travaux serait de 3 mois au maximum entre les mois d’octobre et avril.
V.II. Le rejet à la côte : c’est alors le dragage hydraulique qui est le plus souvent employé. Le sédiment est mis en suspension dans un fort courant d’eau, aspiré puis refoulé dans une conduite vers le lieu de rejet. La mixture rejetée ne contient que 10 à 20 % de sédiments. L’inconvénient de cette méthode est de générer un nuage turbide très important. Cette méthode est intéressante pour des sites de rejet à très forte dispersion et peu sensibles. Cette technique est plus simple à employer car elle ne nécessite pas le démontage des pontons.
Dans le cas de l’Herbaudière et du site C la durée des travaux serait beaucoup plus importante car :
– il est impératif que la conduite soit immergée,
– le rejet ne pourrait se faire que pendant la période de marée où le courant, sur le lieu du rejet, se dirige vers l’Ouest et est suffisamment fort. Il ne faut surtout pas que la composante du courant soit Est car le nuage turbide se dirigerait vers la Baie de Bourgneuf. Un courant nul par contre provoquerait la création sur place d’un tumulus de boues.
La durée des travaux serait de 6 mois pendant la période de octobre à avril et il serait nécessaire d’utiliser deux dragues pour tenir ce délai.

PRIX DE REVIENT :
Vers le 15 juin 2000, nous recevions du bureau d’études IN VIVO, l’étude qui concluait son travail. Les prix de revient étaient annoncés :
– 4,7 MF pour le clapage en mer (4,4 MF pour le dragage + 0,3 MF pour le démontage)
– 4,4 MF pour le rejet à la côte ( 3,6 MF pour le dragage + 0,8 MF de pose ).
Nous avions ainsi la preuve que, pour une différence minime, le procédé le plus propre pouvait être utilisé.
CE RÉSULTAT ÉTAIT POLITIQUEMENT INSUPPORTABLE POUR LES ÉLUS ET LES ORGANISMES LOCAUX ET DÉPARTEMENTAUX QUI S’ÉTAIENT ENGAGÉS À FOND LORS DE LA DERNIÈRE OPÉRATION DE REJET À LA CÔTE ; aussi:
le 25 juin 2000, une lettre du bureau d’étude nous informait que “quelques erreurs” (sic) s’étaient glissées dans le texte de l’étude d’incidence et que, en particulier :
“ les filières de destination des boues ont été réévaluées ces deniers jours pour les raisons suivantes :
– un affinage des coûts a été réalisé par le maître d’ouvrage,
– les sociétés de dragage ont récemment réactualisé leurs prix.
Le rejet en mer passait ainsi à 5 MF et le rejet à la côte à 3,7 MF “ !

Par la suite nous apprenions que le rapport communiqué aux associations de défense de l’environnement était tronqué. Toutes nos correspondances sur ce sujet sont restées sans réponse.
Seul le Maire de Noirmoutier qualifiait le dernier dragage de crime écologique et prenait position contre un rejet à la côte des vases.

Vous constatez que la manoeuvre a été impudente et qu’on nous a carrément pris pour des …. naïfs.
Nous nous sentons victimes d’une manipulation grossière, nous sommes persuadés que les chiffres ont été trafiqués impudemment, nous ressentons profondément le mépris affiché envers les citoyens et nous sommes plus que jamais décidés à continuer la lutte.

Pour une meilleure compréhension du contexte de la prise de décision, voici quelques extraits du compte rendu officiel d’une réunion qui s”est tenue le 13 mai 1997, ce compte rendu nous a été transmis par le Sous-Préfet :
Conclusions du groupe de travail chargé du suivi des opérations en Baie de Bourgneuf :
“…………
Port de l’Herbaudière :
3.2.5. Monsieur Datin (comité local des pêches) souhaite que IFREMER fasse le point au regard de son avis préalable (IFREMER avait dénoncé la toxicité des vases).
3.3.2. Il est également demandé à IFREMER de se repositionner compte-tenu de ses réticences de départ, et du fait que la position d’IFREMER a déterminé la décision du Tribunal Administratif (qui nous avait donné raison ) .”
II. Un exemple en baie de Bourgneuf : la recherche d’une solution pour concilier les intérêts des conchyliculteurs et la nécessité de maintenir des profondeurs acceptables dans le port de Noëveillard et le ria de Pornic a nécessité l’intervention d’un médiateur extérieur pour poursuivre la concertation entre les parties. Celui ci a été sollicité par le Préfet de Loire Atlantique.
La mission de conciliation a comporté 3 étapes :
– examen du problème et des documents techniques,
– rencontres et discussions avec les différentes personnalités et services intéressés,
– recherche de solutions susceptibles de répondre aux problèmes posés.
POURQUOI CETTE MÉTHODE NE SERAIT-ELLE PAS APPLIQUÉE AU CAS DE L’HERBAUDIÈRE ?

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