La bataille du POS de l’Épine – deuxième partie

Supplément au Bulletin N° 44 

LE PORT DE MORIN ET L’AVENTURE AQUACOLE.

1994. Le Plan d’occupation des Sols de la commune de l’Épine, approuvé par le Conseil municipal, pass en enquête publique au mois d’août. Ce plan propose de déclasser les marais afin de laisser libre cours à la spéculation immobilière.
Dans les conclusions de son rapport, le commissaire-enquêteur émet un avis favorable, il prend fait et cause pour une petite commune, paralysée dans son développement, victime de l’ acharnement associatif, mais il commet des erreurs.

Le 7 Novembre, l’association bat le rappel de ses alliés potentiels dont la coopérative de sel de Noirmoutier, en l’informant clairement des conséquences des déclassements envisagés sur l’avenir de la profession saunière. L’association s’y présente, à travers une authentique profession de foi, comme “résolument pour:
1- le maintien et le développement des activités traditionnelles telles que la saliculture, à la fois créatrices d’emploi et respectueuses de l’environnement;
2- Le maintien de l’attrait paysager, élément fondamental de l’économie touristique prépondérante sur l’île;
3- Le respect de l’environnement.”
Puis, elle déplore “ que les élus de l’Epine, les administrations concernées aient choisi de défavoriser une activité ancestrale au bénéfice de l’aquaculture qui, à l’heure actuelle, est loin d’avoir fait les preuves de sa réalité économique. “
Après avoir informé la coopérative de sel du futur recours  devant la justice qu’elle envisage, l’association Vivre l’île 12/12 l’appelle  à y participer.

Dans sa réponse, le 7 décembre 1994,  le Président de la coopérative de sel présente les données nouvelles de la filière:

– Création en juillet 1993 d’une société de transformation et de commercialisation  (10 emplois) et mise en place d’un système de rémunération des producteurs. Programme d’aides à la remise en état.
– Positionnement commercial haut de gamme, multiplication du chiffre d’affaires par 11 en 17 mois, volume de vente passé de 350 à 1500 tonnes par an.
– Production et collecte d’environ 650 tonnes par an devant passer à 1500 t en 3 ans après formation de nouveaux producteurs, 400 oeillets en restauration, 20 monoactifs et 20 pluriactifs prévus pour 1996.

On sent ici toute la fierté d’un jeune professionnel devenu responsable, présentant les résultats spectaculaires obtenus: “C’est là un résultat tout à fait remarquable dans un secteur agricole que l’on a longtemps pensé voué à l’abandon.” signale t’il avant de manifester sa position sur cette révision:“Il est donc inquiétant dans ces perspectives que le POS de l’Epine soit autant modifié”
En effet, 12 marais salants sont en activité, en restauration, ou en projet de réhabilitation dans les zones concernées par les déclassements, soit 20% sur les 1500 oeillets prévus en activité sur l’île pour 1996.  

La conclusion de sa réponse à l’association est un soutien moral de l’action de l’association, malheureusement sans proposer de s’associer au futur recours: “Enfin il nous semble que la saliculture, par la beauté de son geste et de son paysage, est un atout essentiel pour l’économie touristique de l’île. N’oublions pas que toute cette zone de marais a été l’aménagement de l’homme pour le sel. Il nous paraît aujourd’hui très important que l’activité du sel soit maintenue et encouragée dans les zones qui viennent malheureusement d’être déclassées.”

Quelques jours plus tard, le 14 décembre 1994, l’association dépose un  recours en annulation pour excès de pouvoir devant le Tribunal Administratif de Nantes, elle relève :
1. les irrégularités de forme commises par le commissaire-enquêteur.
2. l’erreur manifeste d’appréciation du choix du zonage concernant: le déclassement de 42 hectares de  zones ND (zones naturelles) en contradiction avec la loi littoral et le code de l’urbanisme, le déclassement de zones de marais au profit d’ activités aquacole et conchylicoles et de la mise en oeuvre du port de Morin.
3. Le non-respect de la capacité d’accueil.

L’affaire est lancée.
De mémoire complémentaire en mémoire complémentaire, l’argumentation de l’association s’étoffe et s’affine, la commune tente de se défendre, mais s’enferme dans des contradictions dont elle ne se relèvera pas, notamment sur la question des modifications et suppressions d’espaces boisés.
Lors de l’audience du 18 février 1997, les conclusions du Commissaire du Gouvernement donnent raison à l’association tant sur la forme que sur le fond. L’avocat est confiant, c’est un début de victoire, mais ce n’est pas fini, trois mois plus tard, le jugement du tribunal administratif le 13 mai 1997 confirme ces conclusions.
La commune fait appel, en vain. Le 30 juin 2000 la Cour Administrative d’appel rejette sa requête et confirme donc l’annulation de la délibération de la commune de l’Epine du 7 octobre 1994 approuvant  la révision du POS. Après six ans d’une procédure intense, la commune revient au POS antérieur soit celui de 1983. Un an plus tard une nouvelle équipe municipale est élue, la sanction politique est sans appel.  

3) 10 ans plus tard, l’Etat des lieux.

Les destructions de marais salants

Pour comprendre l’état d’esprit dans lequel la révision du POS de l’Epine a été conduite , il était nécessaire de se plonger dans la psychologie d’un élu représentatif de cette période. Il faut aussi replacer la vision du développement qui l’a inspiré dans le contexte antérieur.

Le bilan des destructions de marais salants opérées sur toutes les communes de l’île concernées ne doit plus être passé sous silence. Jusqu’à aujourd’hui, leur inventaire précis a fait l’objet d’un déni complet dont les raisons sont évidentes. A été sacrifié, en 30 ans, au nom d’un rêve,  une grande partie des plus beaux marais salants de l’île. Il s’agit d’une perte patrimoniale immense. Avant la reprise de l’activité salicole, on peut concéder qu’une partie de ces aménagements pouvait être objectivement justifié par l’absence de signes suffisants d’un renouveau.
L’analyse du contexte et des motivations des différents aménagements effectués sur l’île au cours des années 1970-2000, ainsi que leur étude comparative commune par commune  serait du plus haut intérêt. Elle  contribuerait à expliquer en partie comment certains élus issus d’une génération et porteurs d’une vision” radicale” et soi-disant “moderne” du développement accèdent parfois au pouvoir pour appliquer une politique qui n’est plus d’actualité, sans être capable de lire que le monde qui les entoure a changé. Mais certains intérêts occultent souvent dès la prise de décision un diagnostic  indépendant.

Malgré l’annulation de la révision du POS de 1994 qui en sauvera environ 350 hectares, l’ardoise est lourde pour les marais salants de la commune de l’Epine. Au total ont disparu de son patrimoine salicole plus de 1500 œillets en moins d’une vingtaine d’années.
L’aquaculture au sens strict à elle seule provoqué la perte définitive d’environ 1000 œillets pour 38 marais aménagés de façon irréversible. Rien qu’en “Terrain neuf”,  23 marais salants ont été sacrifiés pour un total de 670 oeillets.
L’ostréïculture,  a aménagé environ 250 œillets, soit plus d’une douzaine de marais. Les activités mixtes (pêcheries, bassins ostréïcoles reconvertis) 7 marais pour plus de 150 oeillets
Les autres emprises (routes, rond -points, boîte de nuit, stade de foot, salle de sports, lotissements, comblements.) ont  entraîné la destruction de 7 marais pour environ 150 oeillets.

Il y a différentes façons de détruire les marais salants, parmi elles, le défaut volontaire d’entretien hydraulique entraînant la mise à sec et l’envahissement par la végétation. De la part de certains proprriétaires de marais salants en friche, il s’agit encore d’une stratégie délibérée à long terme  espérant qu’un jour peut-être on pourra remblayer et construire. Parfois, il peut s’agir de propriétaires ayant acheté ou hérité des marais salants à l’époque de leur déclin et qui refusent d’accepter l’évidence des lois de protection et la fonction productive de leur bien.
Sur la commune de l’Epine, on a l’exemple des grands marais Mauviollière, au bout de la route de Champorroux. A sec depuis plusieurs années,  leur statut est celui d’une Société Civile Immobilière. On se demande, en zone de marais salant protégé,  quel but  poursuivent leurs propriétaires.

Comme on le voit, la conduite de certains élus peut trouver son origine dans des comportements individuels ou collectifs inacceptables. Le droit de la propriété impose des devoirs, dont celui , moral, de la transmission. Le patrimoine  des marais salants est un outil de développement économique majeur pour l’ île de Noirmoutier, non pas un outil de spéculation  foncière, mais de création d’une richesse qui est aussi culturelle et partagée.

Le Syndicat Mixte d’Aménagement des Marais vient de réformer ses statuts, non pas comme il aurait été souhaitable, pour  préciser ses compétences dans un cadre strict d’entretien et de restauration des zones de marais salants, mais pour se donner sur la totalité des zones de marais une compétence pour:  “A) toutes études et expériences sur les possibilités d’aménagement et de valorisation des zones de marais de l’Ile de Noirmoutier, la réalisation de travaux d’aménagement du réseau hydraulique et des ouvrages hydrauliques d’intérêt et d’usage  collectif B) toute action d’aménagement ou de réaménagement des zones aquacoles, piscicoles et salicoles  C) procéder à des acquisitions foncières, à des aménagements et des réaménagements de marais…”
Ces statuts représentent un  abus de pouvoir et un véritable retour en arrière potentiel. A partir de ce ces statuts, le SMAM peut à nouveau  faire n’importe quoi   dans n’importe quel endroit du marais salant.

Etant donné l’échec notoire de sa politique d’aménagement aquacole aventuriste, comment le président du SMAM peut-il s’arcbouter ainsi sur cette notion d’aménagement, laquelle est beaucoup trop large,  très dangereuse pour l’ensemble des zones de marais salants, et doit être urgemment combattue.
On comprend comment politiquement elle lui permet de conserver un maximum de pouvoir dans le contexte actuel.  
Or, l’expérience des 20 dernières années a montré que des garde-fous doivent impérativementexister pour contraindre les opérateurs (syndicats, propriétaires, exploitants) à respecter pour tous les travaux, des cahiers des charges préçis qui respectent strictement les caractères patrimoniaux du paysage des marais salants.
Beaucoup de personnes visitant notre île s’étonnent que les marais salants ne soient pas classés. Pour l’instant l’association Vivre l’île 12/12 oeuvre au classement du Gois. Il serait peut-être opportun de réfléchir à l’étape suivante, celui des marais salants.  

Les marais salants aujourd’hui

Pendant les six ans de la procédure, beaucoup d’eau salée a passé par les écluses alimentant les marais salants. De 1994 à 2005, de nombreux nouveaux sauniers se sont investis dans l’activité salicole, leur nombre a été multiplié environ par trois en onze ans.
On compte aujourd’hui sur l’ile de Noirmoutier 3240 oeillets exploités, ce qui correspond à 186 marais salants en activité.
Au total cette profession compte un peu plus de 120 sauniers ou saunières dont environ 40%  l’exercent à titre exclusif ou principal.

(place par rapport aux autres activités primaires, pdt, ostr, aquac, pêch, artis..?.)

Sur la seule commune de l’Epine 1226 oeillets sont aujourd’hui exploités, ce qui correspond à 70 marais salants en activité.  50 sauniers ou saunières y  travaillent et redonnent une partie de son vrai visage au paysage de cette commune.

En 10 ans le nombre de marais salants en activité sur la commune de l’Epine a ainsi été multiplié presque par 7, la surface de production (nombre d’oeillets) par 5.
En paraphrasant une  célèbre fable, on peut dire aujourd’hui: donnez-vous de la peine, le trésor est au fond du jardin… de sel.
Grâce à ce constant effort de renouveau  où chacun a son rôle à jouer (sauniers, propriétaires, associations, syndicats, élus, administrations…) les vieux noms des marais salants revivent, et avec eux un sacré morceau du patrimoine ancestral, cette  mémoire vivante dont parlait le premier adjoint dans ses discours !

La Forme, l’Epervier, Pré Courtet, Marais Neuf, Les Eglats, Senterre, Marais Petit , La grande Cure, Savarière, Cholleau, Lycottière, Bernardoux, La Corbe, Griffardière, Saillant, l’Ormeau, Bazin, La Gabinière, Grand Gaillard, La Touche, Beauvoir, Pornuchette, Les délits, Angibaud, Girant, Puylorson, Bonne Pogne, Retraite, Les Ileaux.

La commune de l’Epine représente aujourd’hui environ 38% de la capacité de production totale,  42% du nombre  sauniers, et  40% du nombre total de marais.

Tous ces marais qui revivent aujourd’hui sont une belle victoire contre l’oubli, à laquelle l’association Vivre l’Ile 12/12 a apporté  une forte contribution en permettant la sauvegarde de bon nombre d’entre eux. L’enjeu valait bien une procédure.
Souhaitons que les sauniers et les saunières de l’ile se souviennent que cette bataille judiciaire a été menée en grande partie pour que vive leur beau métier. Les marais salants, les dunes et les forêts sont fragiles et méritent d’être défendus.

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