La civelle

Article du Bulletin N° 38

Noël, la fin de l’année, les cadeaux, … c’est aussi le moment où le pêcheur de civelles noirmoutrin prépare ses pibalours. Le bar a disparu, la margade (seiche) est loin d’être annoncée, jusqu’à mi-mars la civelle va remonter le plus loin possible dans les étiers et notre pêcheur l’attend aux endroits stratégiques.

Elle vient de loin notre civelle… Ces alevins d’anguilles, également appelés piballes, nous arrivent chaque hiver de la Mer des Sargasses (au Nord-Est des Antilles) après un trajet long de 6 000 km. Les larves sont portées par le Gulf Stream vers les eaux de l’Atlantique Nord où leur zone de répartition est estimée à 90 000 km2. Les civelles qui ressemblent à des spaghettis argentés, vont se sédentariser dans les estuaires ou remonter et coloniser un grand nombre de cours d’eau, lacs et zones humides. Elles vont s’y transformer en « anguilles jaunes ». Pendant 7 à 12 ans pour les mâles, 12 à 18 ans pour les femelles, elles vont croître et se transformer en « anguilles argentées ». L’instinct de reproduction déterminera alors une nouvelle migration vers la Mer des Sargasses, seul lieu de reproduction de l’espèce. Des oeufs seront à nouveau fécondés et le cycle reprendra.
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Du Pays Basque à la Bretagne des milliers de pêcheurs attendent les civelles. Vendus quelquefois jusqu’à €300 le kilo, les alevins d’anguilles constituent une ressource appréciable pour les navires de petite pêche côtière : en 1999, 133 tonnes de civelles ont été pêchées (officiellement) pour un chiffre d’affaires de 15,6 millions d’euros. Si les civelles font le régal de Espagnols et des Basques, l’essentiel de cette production est exportée à destination des pisciculteurs chinois, qui élèvent l’anguille pour les marchés japonais (aucune technique ne permet à l’heure actuelle d’assurer la reproduction artificielle des anguilles).
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L’île de Noirmoutier avec ses côtes et son réseau hydraulique, est un lieu d’accueil des civelles et de croissance des anguilles. Mais cette année la civelle tarde. Les pêcheurs embusqués sur ses lieux de passage traditionnels désespèrent. Cette pêche qui se pratique de préférence la nuit commence dès que la marée monte ; dans la Baie de Bourgneuf, dans le port de Noirmoutier, les bateaux traînent, accrochées à chaque bord, deux longues chaussettes réglementaires (1,20 m de diamètre), aux mailles très fines : les pibalours. « Les civelles passent souvent la journée enfoncées dans la vase », me dit Richard, « elles attendent la marée montante pour décoller et remonter le courant vers les écluses et les étiers, le plus loin possible. Elles préfèrent les eaux troubles, quand les eaux sont trop claires, elles restent au fond ». Nous sommes dans le port de Noirmoutier-en-l’Île, entre l’écluse du Moulin et le début du chenal, le bateau fait des allers-retours, de temps en temps les pibalours sont relevés puis secoués au-dessus d’un tamis, les crevettes frétillantes sont arrêtées, quelques dizaines de fils argentés ondulants passent dans la caisse en dessous.
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Dès que la récolte est significative, il faut la porter à Fromentine où un mareyeur attend la précieuse cargaison ; rapidement transportée vers le pays Basque dans des bacs d’eau suroxygénée elle sera expédiée quelques heures plus tard vers la Chine.

La civelle attise la convoitise des braconniers qui pêchent sans licence, le long des étiers : ouvrant clandestinement ou quelquefois fracturant les portes d’écluse ils piègent les civelles à ces étranglements du flot montant.

Tous les hivers sont loin d’être fructueux et d’aucun pensent que la ressource s’épuise, un spécialiste de l’IFREMER attribue ce phénomène au manque d’entretien des espaces humides et à la mauvaise qualité des eaux polluées par les rejets agricoles.

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